Prêtres, et après ?
Michel Salamolard – Maxime Morand (dir.)
Avec les contributions de :
François-Xavier Amherdt, Iso Baumer, Bernard Bonvin, Étienne Catzeflis,
Claude Ducarroz, François Gachoud, Jean-Marie et Bernadette Kroug,
Jean-François et Valérie Maillard, Michel Massy, Bruno Miquel,
Caroline Morand, Adrian Nistor, Jacques Perroux, Jean-Cyprien Pitteloud,
Jean-Jacques Raviglione, Gérald et Marceline Theler
L’avenir des paroisses et de l’eucharistie
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POSTLUDE 2
Des humains en ressources
par Maxime Morand
En aidant au sertissage de ces témoignages et en
intervenant régulièrement dans la formation des responsables
d’équipes pastorales à la demande des autorités
du diocèse, le professionnel des Ressources
Humaines est quelquefois interloqué. De reconnaître
autant de kilos-cerveaux dans ces vies partagées,
m’invite au questionnement : cette richesse de formation
et d’expérience, pour quels destins ? Cette
densité d’existences, de rencontres, de vies données,
rendues, acceptées, jouées, rejouées, libérées, pour
qui ? pourquoi ?
Je ne veux pas réduire l’Église à une entreprise
humaine, mais, dans l’économie du salut, il faut bien
oser la question de la gestion des talents qui vivent
dans l’Institution et la font vivre aussi.
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Quelle mission pour les ministres ordonnés ?
Vers qui sont-ils envoyés pour proclamer l’Évangile ?
Doivent-ils prioritairement consacrer leur temps aux
enfants, aux seniors et aux malades ? Sont-ils envoyés
afin de réaliser une pastorale principalement sacramentelle,
sorte de service divin d’entretien sur des
territoires de plus en plus vastes ?
Sont-ils, par voeu d’obéissance, à la disposition
des supérieurs pour réaliser une planification qui ressemble
de plus en plus à un bricolage de première
nécessité ?
Immergé dans le monde du travail depuis plus
de vingt-cinq ans, je cherche souvent, en vain, une
parole, une théologie qui inscrive l’essentiel de l’activité
humaine dans un divin dessein. Le dimanche,
me semble-t-il, n’est pas la négation de la semaine,
mais le premier jour qui donne la tonalité, la couleur
aux jours suivants. Où est l’Église entre le lundi matin
et le vendredi soir ?
Dans certains témoignages, je ressens une douce
amertume, aussi bien chez les « restés » que chez les
« partis » : ne pas avoir pu davantage être utile ! Il y a
au détour de quelques phrases un sentiment d’avoir
été plutôt utilisé pour faire rayonner son attachement
avec, contre et par-delà l’Institution. Des kiloscerveaux,
ferments de quelle humaine pâte ? Des
talents pour quelle mission ?
Quel leadership le prêtre doit-il exercer ? Quels
charismes doit-il mettre en oeuvre ? Doit-il moissonner
ce que le monde a produit de bon et de beau
pour l’inscrire, le réconcilier dans une histoire plus
« in-finie », plus salutaire ? Au coeur du monde, ou à
sa marge pour le faire grandir ? Il n’y a pas qu’une
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réponse à ces interrogations mais certainement des
réponses diverses, cependant je me demande : qui
traite sérieusement de ces questions ? Si l’on veut attirer
des vocations aux ministères ordonnés, il faut
peut-être envisager sérieusement de changer de modèle
d’organisation. L’Église forme, organise des transferts,
restructure ; les chefs sont de plus en plus éloignés
du terrain. Tout cela ressemble à une grande
administration dont la performance risque de moins
en moins d’être de ce monde ! J’ai même fait l’expérience,
en accompagnant des prêtres et des religieux
dans leur choix de vie, que des aspects formels,
voire légaux, relevant de la protection de la
personne, n’étaient pas toujours mis en oeuvre. Sans
compter que la non-utilisation des compétences partantes
représente un beau gâchis d’humains en ressources
!
Prendre des personnes exerçant un métier à temps
partiel tout en les ordonnant pour le partage de la
Parole et du Pain au milieu de l’activité humaine
semble être la seule voie possible en Occident, si l’on
veut mettre le message du Christ dans le temps ordinaire.
Après tout, le Christ n’avait pas d’Église, il
prêchait sur la montagne, en chemin et sur la place
du marché.
Ce qui m’étonne encore aujourd’hui dans la
culture ecclésiastique (aussi bien dans les équipes
pastorales composées de laïcs et de prêtres), c’est le
manque de feedback vrai. On respecte tellement les
personnes qu’on ne leur dit pas ce qui ne va pas. La
personne concernée finit par se retrouver marginalisée,
à demi considérée, poids mort dans le groupe.
On devrait apprendre aux futurs responsables à
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exercer avec courage le service de la parole vraie et
à éviter ainsi les grandes souffrances infligées souvent
par une gentillesse dévalorisante.
Sous le Directeur des Ressources Humaines,
l’homme
a aimé l’aventure de ces témoignages qui
l’a obligé à ramoner la cheminée de son âme pour
y faire entrer davantage de souffle. Plein de gratitude,
je remercie chacun et chacune d’avoir partagé
sa respiration sereine, profonde, large et grave. Puisse
le lecteur avoir le temps de prendre et reprendre
souffle.