Nous vivons sous le joug d’un système de management qui fabrique du stress et de la souffrance et des carrières fulgurantes aux succès discutables. Tout cela, sous le prétexte tyrannique de créer de l’efficacité et du bonheur au travail ! La belle arnaque ! En effet, depuis 30 ans, la Direction par Objectifs, (MBO en anglais), a cancérisé les entreprises d’abord, les administrations ensuite, et, dans la foulée, les institutions enseignantes. Est-ce un cancer avec pronostique vital engagé ? Quel traitement anti Direction Par Objectifs faudrait-il prescrire ? Disséquons le mal en présence. Le mot « objectif » signifie : « jeter devant ». Jeter devant soi, avec un résultat figuré dans le temps. Se projeter soi-même dans le futur.
Mais, aujourd’hui, quel est le degré de visibilité de nos objectifs ? Faible, voisin de zéro. Aucune importance, le CEO et le COO vous annoncent un plus 15 pour cent comme obligatoirement atteignable. Vous êtes une personne dirigée vers la réalisation de vous-même. Le moteur énergétique de votre carrière vous pousse à ne pas vous arrêter sous peine d’un accident qui vous laisserait sur le côté. Donc, vous foncez. Prouver à vous-même et aux vôtres, à votre équipe, que vous êtes à la hauteur des attentes projetées sur vous, devient l’essentiel de votre motivation. Pour cela vous négligez votre santé ou, au contraire, vous dépensez votre stress dans des activités sportives très prenantes. Haute énergie ou grande négligence, vous pouvez choisir, avec toutes les conséquences personnelles et familiales.
Le paradis à atteindre, va conjuguer deux composantes : le succès et la souffrance qui vont « se baiser », mutuellement, sans affection. Sans compter qu’à propos de « baise », l’hyper-tension obligera à chercher ailleurs, ou, tout simplement, comme dirait mon cher copain : « la girafe se positionnera sur soif… ».
Les arguments de l’arnaque sont baraqués. Réussite individuelle, performance personnelle mesurée, part variable de la rémunération en rapport. En rapport avec qui ? En rapport solitaire avec soi-seul. Ainsi, avons-nous une illustration de la dérive du capitalisme qui finit par se réduire à une dimension de réussite purement individuelle. Aussi, la réussite et sa mesure sont-elles devenues des matrones tyranniques organisationnelles. Tyrannie de la fausse certitude en ligne de mire, tyrannie du contrôle en continu, tyrannie des réajustements perpétuels d’organigrammes afin de masquer la dure réalité des objectifs non atteints. Chacun ayant ses propres objectifs individualisés, le travail de groupe se transforme en une organisation où chacun surveille l’autre, afin de veiller à tacler un éventuel démarquage. La tyrannie du travail s’érigeant en tribunal où chacun juge chacun, en n’oubliant pas de s’auto-flageller ou de s’auto-congratuler. Exagération ? La souffrance au travail est un véritable fléau de notre société occidentale.
Y-a-t-il quelqu’un, un leader nouveau – né, qui oserait, dans la culture de son entreprise, proposer un anti-modèle ? Au fond, la Direction Par Objectifs crée une extraversion. Un mouvement qui nous fait sortir de nous-mêmes. L’objectif, sans jeu de mots, finalement, nous fait nous jeter dehors. En bonne logique, accompagnée d’humour, il faut que des entreprises novatrices recommandent le mouvement inverse : « habiter avec soi-même » (Saint Benoît), et osent la question : quelle est notre véritable raison d’être ? Ne plus être uniquement performant, mais devenir dense, attirant.
Crever les objectifs obsédants pour retrouver la qualité de qui nous sommes, intenses, disposés à livrer du « sans soucis » à nos clients. Juste à prendre soin d’eux et de nous-mêmes, ensemble.
Aujourd’hui, déjà, l’hyper-mobilité joue la musique sur laquelle nous dansons. Le savoir ne se distille plus, il enivre toutes les générations. Reste à apprendre à goûter les nectars proposés afin de tenter de choisir le bon breuvage. Reste à savoir rester assis, à observer les danseurs en testant les produits proposés. Une position de « sagesse », qui vient de sapiens, sapire, goûter en se délectant. Prendre le temps de savourer, sans mépris, les immenses possibilités des i-prothèses offertes, le goût du vrai, du profond, du caractère de ce que nous fabriquons pour nos clients. Ainsi l’objectif ne deviendra qu’une petite partie de la tambouille managériale : un sucre à forte énergie donnant l’illusion de la réussite pour mieux stocker la graisse du stress.
Quelle diététique managériale saurons-nous nous offrir pour les années à venir ?
La Direction Par Objectifs ? Un menu à proscrire, pour un vrai repas d’amitié au travail, pour un moment de repos, de repositionnement : mon intensité professionnelle et personnelle, ma saveur, attirent quels clients, quels collaborateurs ? Bon appétit !