HR Today 3.2016 Maxime Morand : L’amitié comme fondement et sommet de la ressource humaine,

HRToday 3.2016.

Opinions. Des mots et des hommes. Maxime Morand.

 

« L’amitié comme fondement et sommet de la ressource humaine ».

 

Nous exerçons un métier de relations entre des personnes, au sein d’une organisation avec sa stratégie et son marché. Nous sommes dans le discernement, le dialogue, l’écoute, la confrontation, les jeux de pouvoir, la décision, l’accompagnement et la formation. Où pouvons-nous puiser la force, l’énergie vitale nécessaire à l’authenticité, à la vérité des paroles et des actes que nous mettons en œuvre ?

 

Dans l’amitié.

 

Pour ne rien vous cacher, je suis un heureux bénéficiaire de fortes expériences d’amitié. Ratées ou réussies. A la suite du moine, auparavant ministre à la cour d’Ecosse, Aelred de Rievaulx, (12 ème siècle), qui a écrit un traité de « L’amitié spirituelle », en s’inspirant de Cicéron (Laelius de amicitia, 44), j’aimerais tellement mettre en exergue ce plus haut sentiment qui n’en est peut-être plus un, tellement l’amitié surprend les émotions pour les transporter au cœur du cœur.

 

Dans la clairvoyance et la liberté qui ne jugent pas.

 

La définition, qui me révèle la quintessence de l’amitié, je l’ai trouvée chez René Char dans le dialogue avec son ami Albert Camus. Dans : « Je veux parler d’un ami » (1957) : « Deux hirondelles tantôt silencieuses, tantôt loquaces, se partagent l’infini du ciel et le même auvent. »

 

« Silencieux et loquaces ». Silence, comme l’absence de besoin de tout comprendre, tout dire, tout savoir. Juste être là, relié à soi-même, calme. Tellement présent que l’autre, l’ami(e), se trouve à se retrouver (elle) lui-aussi. Saint Augustin (5ème siècle) affirme : « Nul ne connaît personne, sinon l’ami ». Deux solitudes qui deviennent une sorte de toucher d’âmes (de ce qui nous anime au fond de nous).

 

Loquacité, paroles, échanges sans danger, sans précautions oratoires, sans souci d’être jugé(e). Un verbe qui cascade comme un torrent qui se joue des pierres en jaillissant de sa source, livrant sa fraîcheur.

 

J’appelle ces échanges : faire du ping-pong mental. La balle du sens circule jusqu’à ce que le sens soit trouvé. Nous créons ainsi des chemins nouveaux et animés dans notre cerveau. Ainsi, lorsque nous nous trouvons devant des situations difficiles, notre vive mémoire s’active à poser les bonnes questions et à trouver et à faire trouver les possibles solutions.

 

« Infini du ciel, même auvent ». Espace illimité, le lien étant tellement certain que la nécessité d’être présents et liés n’a plus lieu d’être. Il n’y a pas, fondamentalement, l’inquiétude d’une trop grande distance. Cette distance favorise aussi sa propre indépendance et offre la densité à venir.

 

Un abri : le vent des opinions, des rumeurs, des aigreurs, ne passent pas grâce à la protection offerte par l’amitié. L’auvent favorise un pépiement d’humour qui met à distance ce qui fâche. Nos métiers supposent une vue globale, une sorte de beau sas dans lequel nous sommes protégés et nourris par l’amitié. L’amitié est une façon de prendre du recul pour mieux voir et donner à voir.

 

L’amitié suppose donc une dialectique entre paroles et silence, entre rencontres et espace. Une danse qui enlace et délasse. Au sens d’impliquer et de reposer. Cette danse empêche la paralysie des idées figées, mortifères. Elle se moque avec tendresse des combats inutiles et futiles. Grâce à l’amitié, l’authenticité traverse nos paroles et nos gestes. L’amitié nous protège de tous les vents mauvais et nous donne force et douceur dans nos relations humaines.

 

Et puis, si nous voulons être forts dans les interactions de nos responsabilités, selon Aristote (4 ème siècle av. JC), l’amitié véritable (vertueuse, dit-il) est le seul moyen de progresser, car l’ami(e) est le miroir dans lequel nous nous voyons tels que nous sommes. (cf. Ethique à Nicomaque, livres 8 et 9). Donc, si nous voulons offrir de l’autorité, au sens de rendre l’autre auteur(e) de ses décisions, il nous est indispensable de nous connecter avec le courant de l’amitié qui, en vérité, nous fait grandir.

 

Dans nos métiers, fort de nos amitiés, nous pourrions ainsi, quelquefois, à temps et à contretemps, oser dire à nos contreparties et même à nos supérieurs : « Puis-je vous conférer l’amitié de vous donner un feedback et de vous dire ce que je pense vraiment ? »

 

 

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