Quel humour pour quel leadership ? HR Today mars 2014. Maxime Morand. Des mots et des hommes.

HR Today

Quel humour pour quel leadership ?

Dans une première approche, je vous propose de sérier les formes d’humour par différents niveaux de pression générés par l’environnement. Ensuite, nous essayerons de donner à voir les conséquences de certains styles humoristiques dans des situations de leadership habituelles. Finalement, une vision humoristique de sa responsabilité pourrait entraîner quelle libération personnelle ?

Pression intense, presque plus de marge de manœuvre, coincés. Si nous continuons ainsi, nous serons assez rapidement dans le mur. C’est quasi une situation intenable. L’humour, dans ce contexte, peut s’exprimer comme un jet de vapeur vive et sifflante sortant d’un tuyau très réduit. Ainsi, par le cocasse de la situation décrite, l’humour tente de désamorcer le danger encouru. Attention : le cynisme et le sarcasme dévastateurs peuvent être au rendez-vous. J’ai travaillé, au temps de mes études, comme aide ambulancier dans le Jura, nous avons dû relever dans un champ quatre corps mourants de jeunes apprentis suite à un accident. Pour rester des professionnels, dans cette situation limite, avec les gars des pompes funèbres, nous avons tenté de gérer cela avec un rare détachement. Un homme plus âgé, me disait tout le temps : « Vas y petit ! Ne stresse pas : prends-le par les pieds, pose le avec moi sur le brancard, pense que c’est juste pas vrai ! »
Certains managers usent de la pression pour entrer en matière en étant vertement abrasif, histoire de voir si les autres tiennent le coup. Zone danger.

Dans une routine nécessaire, il faut y aller, c’est pas trop la joie, mais puisqu’il faut le faire, affrontons quand même la question ou la difficulté. Soudain une plaisanterie bien placée fait passer la pilule amère et sucrée et laisse éclater un fou rire libérateur. La dérision et la scène idiote sont souvent en conjugaison. Quelquefois un rire tonitruant annonce que « quand faut y aller faut y aller ». Un membre de l’équipe RH, lors des processus de fin d’année, n’hésitait pas à lancer des trombones dans l’espace bureau et la trompette de son rire m’avait obligé à insonoriser le mur de ma salle de réunion. Dans le wagon restaurant CFF, il y a un serveur-chef qui fait de la dérision tout le temps : il a dit à des clientes : « Allez les vieilles, foutez le camp, descendez, je vous ai assez vues ! » Elles ont apprécié pourtant sa bonne humeur, son bagou et sa gentillesse. Cette dérision cache-t-elle une envie de ne pas trop souffrir de son train-train quotidien ? Certains managers usent et abusent de ce rire pour chauffer l’atmosphère. Un tempérament souvent ravageur ?

Interaction collaborative normale, tout va comme cela doit aller. Bien sûr, il faut aménager certaines situations dans l’organisation et tenir compte de comportements à mieux intégrer. L’humour devient ainsi une façon de mettre de la légèreté là où le sérieux pourrait devenir trop formel. Une façon de voir les choses, les problèmes et les projets s’allie avec une vue ironique et tendre. Défier, provoquer pour mieux comprendre. Laisser entendre à l’autre qu’il ne va pas pouvoir imposer facilement ses vues techniciennes ou dogmatiques. Piquer pour mieux ouvrir et s’ouvrir à l’autre. Faire du méta, de la métaphore, de la métamorphose. Oser la question tellement pertinente qu’elle frise l’impertinence : demandez à son chef qui couche avec une de ses subordonnées quel est le plus grand risque humain du groupe. Et oser lui dire, après quelques suggestions, que c’est lui le plus grand risque humain ! Dans le livre de Samuel, premier Testament, Samuel doit dire à David qu’il a couché à Bethsabé et fait tuer son mari Urie le Hittite, il ose une petite histoire qui fait que David doit, sur le champ, reconnaître sa faute. L’humour devient ainsi un art de savoir converser avec légèreté et pertinence à la limite du possible. Certains managers deviennent de redoutables visionnaires qui savent lire le jeu des pouvoirs, incisif leur humour !

Impossible de se retenir, le premier degré effraie. Surtout, ne pas se laisser enfermer, encadrer, embrigader. Garder sa liberté, absolument. Donc un deuxième degré perpétuel. L’humour comme une façon d’être au monde, le temps compté n’a pas de prise. La décision de ne pas se laisser mettre dans un coin l’emporte sur tout le reste. Cet humour combat sans arrêt les préjugés et déverrouille les tabous. Le regard « mystique mi-raisin », sereinement rigolard, est une façon de tenir tous les autres à distance. La liberté est première et celle-ci n’est pas négociable. La conception d’un monde, « easy going » passe avant les contraintes, l’indépendance d’esprit est clé. Les autres n’auront pas accès aux intimes convictions. Le paravent se pare d’un festival de couleurs, mais c’est un paravent. L’humour comme un bouclier au blason flamboyant. Une façon d’être qui ne permet pas à l’autre d’avoir barre sur soi. Cause toujours, est-ce que l’autre m’intéresse vraiment ? Décoller et déconner à tous moments : un leitmotiv. J’en connais qui sont toujours hors de la réalité à l’échelle 1 : 1. Très visionnaires, ils vous narguent par leur habileté à voir les événements de plus loin et de plus haut. Narquois sont-ils. Certains managers deviennent ainsi illisibles et déroutants. Savent-ils qu’on ne sait pas ce qu’ils savent ?

Avec son supérieur, quel humour ? Ne faites pas de l’humour en premier. Laissez-lui la main, fut-elle malheureuse. Souriez, éviter le rire faux-cul. Saluez, si c’est vrai, sa hauteur de vue. Dites que vous appréciez que l’on peut se parler vrai et sympa.

Avec ses pairs, quel humour ? Si la pression est trop grande, dilatez la perspective. Dans un club service, un grand conflit entre le président et les anciens, je suis appelé à jouer un peu le médiateur : je leur ai dit : « Nous sommes un petit club, dans une petite ville, dans un petit pays, sur une petite planète, dans un immense univers en expansion, nous n’allons pas nous prendre le chou et perdre notre amitié pour un si petit problème… ».

Avec les personnes qui nous sont confiées, quel humour ? Que votre introduction mette à l’aise tout le monde, certes. Attention à ne pas exprimer un humour au détriment d’autrui ou d’un groupe. Votre histoire drôle doit être inclusive et inspirante. Autrement, lisez une citation qui est très ouverte dans laquelle chacun y trouvera son interprétation personnelle.

Boris Vian, a affirmé (allez sur google pour trouver la référence) que « L’humour est la politesse du désespoir ». Certes, lorsque le mur on pourrait se prendre. Chöggyam Trungpa, maître tibétain, dit que l’humour consiste en une absence de paralysie, de rigidité. Il invite au réflexe de voir en vue panoramique la véritable situation. Du désespoir cynique à la libération d’une connexion vraie, de soi-même à soi-même et de soi-même aux autres, un chemin de leadership ?

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